Le blogue d’Artexte: un lieu d’échanges, d’expérimentation et de diffusion d’idées liées à la recherche en art actuel.

Regroupe des billets qui présentent des coups de cœur à travers la collection, ainsi que des liens créés par la découverte spontanée
Comprend des échanges et conversations entre les chercheurs et le milieu de l’art contemporain. On y retrouve des entretiens, des réponses à des articles, ou encore les traces de partenariats institutionnels.
Un accès direct aux travaux et observations des individus qui fréquentent Artexte, qu’ils soient chercheurs, auteurs, étudiants ou artistes.
Section réservée aux employés, stagiaires et bénévoles d’Artexte, qui témoignent de leur expérience professionnelle.
Découvertes

La bibliothèque d’art dans la communauté artistique

Artexte (3575 boulevard Saint-Laurent), ca 1983. Photo : Angela Grauerholz

Fondée en 1980 par les artistes Angela Grauerholz et Anne Ramsden, ainsi que l’historienne de l’art Francine Périnet, la bibliothèque Artexte a été créée en réponse au besoin grandissant de la communauté artistique montréalaise d’avoir accès à des publications sur l’art contemporain difficiles à trouver au Canada.[1]1 (24 août 2016). Entrevue avec Danielle Léger, (Bibliothécaire chez Artexte, 1988 - 1997) et John Latour (Bibliothécaire chez Artexte 2005 - 2015), réalisée par Jessica Hébert et Hélène Brousseau. C’est également durant cette période que le bibliothécaire du Museum of Modern Art de New York, Clive Phillpot, publie un article soulignant l’importance pour les bibliothèques en art de considérer leur rôle social et d’adopter des valeurs inclusives, en donnant accès à de l’information visuelle et de la documentation sur l’art. Selon l’auteur, celles-ci représentent des formes d’« alimentation visuelle » et d’inspiration.[2]2Phillpot, Clive (1997). The Social Role of the Art Library. Art Documentation: Journal of the Art Libraries Society of North America, 16, no. 2, 25-26. C’est avec des visées similaires, reflétées dans son mandat de service au public et à la communauté, qu’Artexte s’est retrouvé dans les rôles de librairie spécialisée, de distributeur, de maison d’édition, de bibliothèque et, plus récemment, de dépôt numérique d’avant-garde (e-artexte).[3]3Léger, Danielle (2006). Le Centre d’Information Artexte : un mandat, et un parcours, atypiques. Essays in the History of Art Librarianship in Canada. ARLIS Canada, 130. Maintenant, Artexte se positionne également comme incubateur de réflexions et de création, à travers sa salle d’exposition et ses résidences de recherches.

Pendant les années 1980 et 1990, les activités d’Artexte, comme la librairie, les Éditions Artexte et le service de distribution, ont créé des conditions idéales pour la création d’un réseau pancanadien d’artistes et d’organisations qui ont favorisé le développement d’une collection documentaire axée sur l’art contemporain. Ces acteurs ont pris l’habitude de déposer leurs publications chez Artexte et cela a permis d’alimenter les rayons. De plus, la collection comprend également des documents éphémères, tels que des brochures, des cartons d’invitations et des affiches, représentant parfois des expositions et des évènements plus obscurs. Cette facette de la collection permet de conserver des traces de ces moments parfois peu documentés, marquants, de l’histoire de l’art canadien. Si ce type de documentation se trouve difficilement dans les bibliothèques traditionnelles, les dossiers d’artistes et d’organisations permettent d’en conserver un grand nombre.[4]4 (26 août 2016). Entrevue avec Zoë Tousignant, (Commissaire et historienne de la photographie), réalisée par Jessica Hébert et Hélène Brousseau. Les chercheurs utilisent la collection de façon traditionnelle et non traditionnelle, autant pour la recherche précise que pour la découverte intuitive répondant aux besoins informationnels et d’inspiration.

En tenant compte de l’histoire institutionnelle, plusieurs questions se posent : qu’est-ce qui est conservé et qu’est-ce qui est laissé de côté dans la documentation? De quelles façons pouvons-nous représenter la diversité des pratiques artistiques d’une large communauté, tout en identifiant ce qui possède une valeur de témoignage pour les années à venir? Ces réflexions nous habitent continuellement, et si les réponses appliquées ont forcément varié au fil des années, elles ont toutes été poussées par le même principe initial : la bibliothèque d’art n’est pas une entité passive qui vise à bien ancrer les productions artistiques passées; plutôt, elle cherche à intégrer ses ressources dans un dialogue fluide avec le présent.

Artexte peut être considéré comme un dépôt qui accumule les histoires, sans que celles-ci ne soient néanmoins fixes, puisque leur place dans la collection en permet une évolution et des réinterprétations constantes.[5]5 (26 août 2016). Sarah Watson, Directrice générale et artistique d’Artexte- 2013 – aujourd’hui. Entrevue par Jessica Hébert et Hélène Brousseau. À travers ce cycle de recherche et de création, de nouveaux sens et significations sont soulevés, et de nouvelles connexions sont faites entre les artistes et les idées au même rythme que change la conscience culturelle.

Les idées se propagent à travers les documents, pour ensuite prendre de nouvelles formes dans les mains et l’esprit des individus qui interagissent avec la collection. De cette façon, des récits oubliés ou sous-représentés par l’histoire de l’art canadien peuvent se révéler.

La recherche dans la collection se pose souvent comme un puissant véhicule qui permet de voir et d’interpréter l’histoire de l’art. Deux exemples récents comprennent les projets « Une bibliographie commentée en temps réel : l’art de la performance au Québec et au Canada ». Issu d’un projet de recherche universitaire dirigé par Barbara Clausen sur une longue période (UQÀM),[6]6 (2015). Le projet, sous la direction de Dr. Barbara Clausen, s’est conclu par une exposition et une bibliographie : Une bibliographie commentée en temps réel : l'art de la performance au Québec et au Canada. il s’agit d’une vaste étude bibliographique autour des écrits, des publications et de documents imprimés sur la performance québécoise et canadienne depuis les années 1950. Aussi, en 2015, une résidence de recherche avec « l’Ethnocultural Art History Research Group (EAHR) » a identifié et mis en lumière les pratiques artistiques des artistes noirs canadiens et des artistes asiatiques canadiens à travers la collection d’Artexte.[7]7 (2015). Le projet, sous la direction de Dr. Alice Ming Wai Jim, s’est conclu par deux expositions chez Artexte et le department d’histoire de l’art de l’Université Concordia, une publication, et deux bibliographies commentées actuellement disponibles sur le site web d’Artexte. Ce projet a permis non seulement de révéler la richesse des pratiques artistiques de ces deux groupes d’artistes, mais cela à également soulevé leur manque de représentation dans les institutions canadiennes. Cette recherche permet de faciliter l’accès à cette part de l’histoire pour la communauté de chercheurs.[8]8 (26 août 2016). Entrevue avec Joana Joachim, membre de EAHR (Ethnocultural Art History Research Group) et employée actuelle d’Artexte. réalisée par Jessica Hébert et Hélène Brousseau.

Ainsi, ce projet témoigne de la capacité de la recherche à ouvrir des dialogues — de maintes façons, le simple fait de rendre l’information accessible peut offrir de nombreux bénéfices à une communauté. Dans la publication qui accompagne le projet, Uncovering Asian Canadian and Black Canadian Artistic Production, EAHR affirme que « La recherche et la mise en valeur de ces documents sont la petite contribution d’EAHR à travers un plus large récit de résistance, qui prend forme en continu ».[9]9Nolte, Victoria, Zhang, Tianmo, Joachim, Joana (2015). EAHR @ Artexte : Uncovering Asian Canadian and Black Canadian Artistic Production. Qc: Ethnocultural Art Histories Research Group (EAHR).

Comme toute bibliothèque arrivant au 21e siècle, la redéfinition de la culture informationnelle et les changements technologiques ont poussé Artexte à poser un regard critique sur ses méthodes de développement et de dissémination de l’information. Réévaluer quels sont les meilleurs outils pour répondre aux besoins du public amène à se demander comment offrir quelque chose d’unique à l’ère où les usagers font souvent de la recherche en ligne de façon indépendante. De plus, la question se pose quant à savoir comment la bibliothèque d’art peut contribuer directement à la communauté artistique, et plus largement, à la société en entier.

Au début des 1990, Simon Ford a introduit le concept du « New Art Librarianship » pour répondre aux idées formulées à travers la « New Art History », qui ne se voulait pas simplement observatrice de l’art, posant plutôt directement un regard critique sur les conditions sociales et politiques de la production artistique. Ford parle de la nécessité pour les bibliothèques d’art d’évoluer et de soulever des réflexions quant à la question de l’autorité qui génère la production des connaissances, et de réexaminer les méthodes d’acquisition et d’organisation de l’information dans le but d’en augmenter l’accessibilité.[10]10Ford, Simon (1994). The Disorder of Things: Art Libraries, postmodernism and hypermedia. Afterimage, vol 21 no 9 , 10-14. Aujourd’hui, 25 ans plus tard, le paradigme persiste et demande de considérer quels sont les moyens pour conserver notre pertinence au cœur d’un monde de plus en plus numérique.

On peut souvent penser que la documentation sur l’art contemporain est accessible, mais la réalité est souvent tout autre, pour une variété de raisons.[5]5 (26 août 2016). Sarah Watson, Directrice générale et artistique d’Artexte- 2013 – aujourd’hui. Entrevue par Jessica Hébert et Hélène Brousseau.  Les usagers de la collection sont confrontés à nombre de barrières. Par exemple, la position géographique, l’accessibilité de l’éducation en art et le revenu peuvent sérieusement empêcher l’accès à la documentation en art visuel contemporain. L’une des façons activement utilisée par Artexte pour affronter ces barrières se présente à travers le développement d’une collection numérique. En effet, Artexte propose actuellement plus de 1200 publications numériques à travers e-artexte, un dépôt numérique en ligne offert en libre accès (e-artexte). Ce projet est rendu possible en partie par les maisons d’édition, les auteurs et les artistes qui nous permettent de distribuer des publications numériques sur l’art visuel contemporain sur une échelle nationale et internationale.

En allant vers l’avenir, nous observons le concept du « embedded librarianship »[11]11Shumaker, David (2012). Embedded librarian: innovative strategies for taking knowledge where it's needed. Information Today, 4. et nous nous envisageons dans un rôle proactif et anticipatif[12]12Keogh, Kristina M., Patton, Stephen A. (2016). Embedded Art Librarianship: Project Partnerships from Concept to Production. Art Documentation: Journal of the Art Libraries Society of North America, vol. 35 no 1, 144-163. en nous unissant au réseau et en créant de nouvelles relations avec des communautés de partout à travers le Canada. Nous devons continuellement nous demander : qu’est-ce qui importe aux artistes, aux chercheurs et aux étudiants, aujourd’hui et dans le futur.

Au final, soutenir les artistes en conservant la documentation qui témoigne non seulement des œuvres d’art produites, mais aussi des relations créées à travers les membres de la communauté – un réseau de connexions et de collaborations.

Notes

  • Entrevue avec Danielle Léger, (Bibliothécaire chez Artexte, 1988 - 1997) et John Latour (Bibliothécaire chez Artexte 2005 - 2015), réalisée par Jessica Hébert et Hélène Brousseau
    (24 août 2016)
  • The Social Role of the Art Library
    Phillpot, Clive (1997)
    Art Documentation: Journal of the Art Libraries Society of North America
    16, no. 2 : 25-26

    Traduction libre de “visual nourishment”

  • Le Centre d’Information Artexte : un mandat, et un parcours, atypiques
    Léger, Danielle (2006)
    Essays in the History of Art Librarianship in Canada. ARLIS Canada
    130
  • Entrevue avec Zoë Tousignant, (Commissaire et historienne de la photographie), réalisée par Jessica Hébert et Hélène Brousseau
    (26 août 2016)
  • Sarah Watson, Directrice générale et artistique d’Artexte- 2013 – aujourd’hui. Entrevue par Jessica Hébert et Hélène Brousseau
    (26 août 2016)
  • Le projet, sous la direction de Dr. Barbara Clausen, s’est conclu par une exposition et une bibliographie : Une bibliographie commentée en temps réel : l'art de la performance au Québec et au Canada
    (2015)
  • Le projet, sous la direction de Dr. Alice Ming Wai Jim, s’est conclu par deux expositions chez Artexte et le department d’histoire de l’art de l’Université Concordia, une publication, et deux bibliographies commentées actuellement disponibles sur le site web d’Artexte
    (2015)
  • Entrevue avec Joana Joachim, membre de EAHR (Ethnocultural Art History Research Group) et employée actuelle d’Artexte. réalisée par Jessica Hébert et Hélène Brousseau
    (26 août 2016)
  • EAHR @ Artexte : Uncovering Asian Canadian and Black Canadian Artistic Production
    Nolte, Victoria, Zhang, Tianmo, Joachim, Joana (2015)
    Qc: Ethnocultural Art Histories Research Group (EAHR)
  • The Disorder of Things: Art Libraries, postmodernism and hypermedia
    Ford, Simon (1994)
    Afterimage
    vol 21 no 9 : 10-14
  • Embedded librarian: innovative strategies for taking knowledge where it's needed
    Shumaker, David (2012)
    Information Today
    4

    «Le modèle souligne l'importance de nouer des relations de travail solides entre le bibliothécaire et le chercheur ou le groupe de personnes qui ont besoin de son expertise. Au fur et à mesure que la relation se développe, les connaissances et la compréhension du bibliothécaire envers les objectifs du groupe augmentent, ce qui en résulte à une plus grande vigilance à l'information et aux connaissances qui pourraient répondre à leurs besoins.» Traduction libre.

  • Embedded Art Librarianship: Project Partnerships from Concept to Production
    Keogh, Kristina M., Patton, Stephen A. (2016)
    Art Documentation: Journal of the Art Libraries Society of North America
    vol. 35 no 1 : 144-163

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Catherine Ratelle-Montemiglio et Clémence Tremblay-Lebeau

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