Le blogue d’Artexte: un lieu d’échanges, d’expérimentation et de diffusion d’idées liées à la recherche en art actuel.

Regroupe des billets qui présentent des coups de cœur à travers la collection, ainsi que des liens créés par la découverte spontanée
Comprend des échanges et conversations entre les chercheurs et le milieu de l’art contemporain. On y retrouve des entretiens, des réponses à des articles, ou encore les traces de partenariats institutionnels.
Un accès direct aux travaux et observations des individus qui fréquentent Artexte, qu’ils soient chercheurs, auteurs, étudiants ou artistes.
Section réservée aux employés, stagiaires et bénévoles d’Artexte, qui témoignent de leur expérience professionnelle.
Découvertes

Décrire la documentation d’événements virtuels et diffusion numérique post-confinement : quelques réflexions

Crédit image : The Asian Canadian Writer's Workshop, Center A, Griffin Art Projects et The New Gallery, 2021

Ces deux ou trois dernières années, les pratiques artistiques ont changé. Outre les appels répétés à la réinvention, et tout ce que cela soulève depuis un certain temps, beaucoup ont opté, en temps de confinement pandémique, pour poursuivre leurs activités sous forme virtuelle; à tout le moins, ceux pour qui c’était possible. Je pense aux artistes et aux diffuseurs, particulièrement. Ceux qui ont pu continuer jonglaient avec les reports et les annulations. Pour d’autres, dont la pratique était peut-être déjà mal en point, cette dernière a simplement été mise en veilleuse.

 

La transformation des pratiques, autant de la part des artistes, des diffuseurs que du public, aura évidemment un impact sur la nature de la documentation qui en découle. Si plusieurs diffuseurs, telles les salles de spectacles par exemple, ont dû fermer leurs portes, d’autres se sont convertis à la webdiffusion. Cela se répercute dans la manière dont ces événements, que ce soit une conférence sous forme de réunion Zoom ou une performance en direct sur YouTube, seront documentés et la nature des traces qu’ils laisseront par la suite.

 

Ces événements sont intangibles, dématérialisés. La notion de lieu est, dans ce contexte, évaporée. Pour le public, la relation avec l’hôte d’un événement devient une abstraction. Pourtant, le contenu diffusé n’est pas pour autant dissocié de son diffuseur.

 

Pour les milieux documentaires et archivistiques qui s’intéressent aux pratiques artistiques contemporaines, et particulièrement pour quelqu’un qui y traite les informations spécifiquement liées aux événements, cette immatérialité amène son lot de questions. À Artexte, c’est lors du traitement du document « Whose Chinatown? A Virtual Conference » que j’ai réalisé l’ampleur de ces enjeux. C’est le point de départ de cette réflexion.

 

Les règles prescrites par notre manuel de catalogage ne tiennent pas compte, en ce moment, de la distinction possible entre le lieu physique du diffuseur d’un événement en présentiel et un lieu virtuel, que ce soit un logiciel, une application ou un site web par exemple, ayant ou non un lien avec le diffuseur, que ce soit une galerie d’art, une salle de concert, etc. J’ai douté, pendant un moment, que nos outils soient adéquats pour prendre en compte les événements diffusés sur des plateformes numériques. Peut-être escamotent-ils certaines présomptions?

 

Pourtant, les expositions virtuelles ne sont pas apparues hier. Depuis quelques années, nombre de musées offrent des visites virtuelles d’envergure. Des galeries et centres d’artistes offrent également des vitrines en ligne, permettant une diffusion plus vaste des œuvres, bien qu’usant de moyens plus modestes que les musées. Ce n’est pas problématique pour autant: dans leur cas, le diffuseur demeure l’hôte à travers ses propres ressources en ligne. Qu’est-ce qui a donc changé?

 

La relation avec les plateformes numériques a changé. La programmation filtre dans les fils d’actualités sur les médias sociaux et les événements se déroulent en visioconférence ou par diffusion vidéo en direct. Dès lors, il n’est plus nécessaire ni attendu que le public passe par les sites web institutionnels, ou ses ressources en ligne, pour s’informer sur sa programmation et atteindre le contenu qu’elles offrent. C’est à travers les outils de diffusion choisis par les organismes culturels que le public rejoint ces derniers. Le plus souvent, ces outils prennent la forme de logiciels ou d’applications web, plus ou moins indifférents au contenu qu’ils diffusent. Comment en témoigner, en tant que catalogueur à Artexte, tout en tentant de maintenir l’intégrité et la cohérence d’une base de données existante?

 

Pour essayer d’y répondre, j’ai commencé par consulter plus en détail notre manuel de catalogage, référence principale en matière de procédures à ce sujet.

De manière générale, recueillir les informations à propos des événements commence sur la source principale d’information : ici, sur le document lui-même, en commençant par la page de titre. C’est le point de départ de la description d’un document et la norme dans le milieu documentaire. Aucune surprise à ce sujet. Ceci exclut délibérément tout ce qu’on pourrait trouver comme information complémentaire sur les réseaux sociaux (les événements Facebook ont-ils momentanément remplacé les flyers?).

 

Comme toute information provenant d’une source fiable, mais autre que le document lui-même, il est toujours possible de la mentionner quand même si elle est mise entre crochets. Les crochets peuvent témoigner de la teneur interprétative d’une information, c’est-à-dire émanant du biais du catalogueur, en l’absence d’une directive spécifique, entre autres choses.

 

Le pire scénario serait d’abandonner la description de tout événement n’ayant pas lieu en présentiel. Comment peut-on se prémunir contre de telles failles?

 

Au fur et à mesure que les pratiques artistiques s’approprient de nouveaux moyens de diffusion, la documentation qui en découle et la recherche qui s’y intéresse emboîtent le pas. Si les pratiques et les sujets couverts par les milieux documentaires sont appelés à évoluer, on peut s’attendre à ce que leurs règles de catalogage soient appelées à suivre cette évolution. Tous les changements aux règles de traitement documentaire peuvent avoir des conséquences d’ampleur insoupçonnée sur la cohérence des notices et la repérabilité des informations; ces changements doivent être instaurés avec prudence et doigté. Puisque la description d’événements est plutôt liée au contexte dans lequel s’inscrit l’origine du document plutôt que son contenu et les sujets qu’il touche, je ne crois pas que ça ne soit qu’une simple question d’indexation. C’est pourquoi, avec le recul, disons à moyen terme, je peux entrevoir la pertinence qu’aura de rendre repérable les événements virtuels par une méthode de description spécifique. 

 

Outre les pratiques internes à Artexte, j’ai cru bon d’aller voir comment d’autres institutions approchent la question. En premier lieu: le catalogue de BAnQ.

Ce deuxième exemple est un document issu d’un webinaire dont les textes sont disponibles à la fois sous forme imprimée et numérique. Le champ « notes » présente les informations relatives à l’événement. L’entrée réfère à certaines pages du document. Nous y trouvons les dates de l’événement et le nom de l’organisme qui en était responsable, mais pas de lieu ni de plateforme numérique.

 

N’ayant pas de champ dédié aux événements, je ne crois pas que ce catalogue s’y intéresse en particulier, du moins, pas systématiquement comme e-artexte. Les informations s’y trouvent tout de même, mais elles ne semblent pas structurées outre mesure. Les mentions dans le champ « notes », un champ potentiellement fourre-tout, pourraient citer le document lui-même lorsque possible, ou être le fruit du catalogage dérivé.

Cataloguer un document en se basant sur une source catalographique existante, telle une notice bibliographique d’une autre institution qui décrit le même document, soit par l’importation ou la transcription. La notice ainsi créée sera modifiée pour s’adapter aux règles de catalogage locales [1].

Qu’en serait-il d’un centre de documentation se trouvant au sein d’un centre d’artistes autogéré? Un lieu comme le centre de documentation de La chambre blanche, à Québec, semble plus près d’Artexte dans sa forme et sa mission, mais qu’en est-il de la teneur de ses notices?

Bernard C. & Couderc S. (1991). Denis Castellas. Latitude.

En ligne

Ce document serait un catalogue d’exposition de l’artiste Denis Castellas. La notice présente un champ « événement » vide et l’un des lieux d’exposition est mentionné comme l’éditeur du document. Il n’y a pas de date ou de lieu indiqués au-delà de ces informations.

 

En survolant d’autres notices dans le catalogue en ligne du même centre, autant les nouveautés que des notices créées depuis un certain temps, on peut déduire que ce champ n’est pas rempli de manière constante dans toutes les notices, ni même que le contenu de ce champ est structuré d’une manière spécifique. On comprend également les limites inhérentes à un centre de documentation aux moyens plus modestes que ceux des autres exemples.

 

Maintenant, si nous avons vu une institution grand public et un centre issu du milieu artistique, voyons comment les mêmes informations sont traitées sur une plateforme à plus grande échelle. Prenons un exemple de Worldcat, un méta-catalogue agglomérant plusieurs catalogues de bibliothèques à l’international.

Applied Computational Electromagnetics Society & Institute of Electrical and Electronics Engineers. (2021). 2021 International applied computational electromagnetics society symposium online-live conference : august 1-5 2021 virtual conference. IEEE.

En ligne

Cette notice présente un document numérique relatant une conférence en ligne dans le domaine de l’ingénierie. De prime abord, les informations sur l’événement se retrouvent directement dans la mention de titre de la notice. Contrairement à ce que nous avons vu dans les exemples issus de BAnQ, le champ « notes » est ici utilisé pour indiquer une référence au catalogue interne de l’Institut des ingénieurs, électriciens et électroniciens (IEEE).

 

Qu’est-ce qui se passe si les dates et le lieu ne se trouvent pas sur la source principale d’information? Ces éléments ne pourraient pas faire partie d’une mention de titre de manière légitime et n’apparaîtraient probablement pas sur cette notice, ce qui, à mon avis, se ferait au détriment de sa repérabilité.

 

Au final, pour peu que les milieux documentaires concernés considèrent ceci comme un enjeu légitime de repérabilité (et parfois même de découvrabilité), ils y trouveront leurs propres questionnements et y répondront avec des moyens à leur mesure.

 

Artexte, du point de vue organisationnel, jouit d’une certaine souplesse, ce qui rend les changements à ses procédures plutôt rapides à développer et à implanter. Je crois que les champs déjà à notre disposition dans le catalogue e-artexte sont adéquats pour rendre compte des événements virtuels. Or, notre manière de les utiliser concernant ce type d’événement spécifiquement est idéalement appelée à changer, en tenant compte de l’équilibre à maintenir entre procédures optimales et cohérence des notices existantes dans les collections.

 

J’éviterais autant que possible de passer par l’indexation, ici des mots-clés décrivant les sujets du document, pour y arriver, nonobstant qu’un document puisse traiter des événements virtuels au sens large, comme sujet. À mon sens, pour la plupart des milieux documentaires, le risque de bruit dans les résultats de recherche est démesuré par rapport aux bienfaits d’un tel choix. Ceci étant dit, le champ « notes » n’est pas un mauvais candidat pour contenir ces informations, pourvu que son usage soit précisément encadré.

 

Loin de moi l’intention de présenter une solution définitive à ce qui se dessine à l’horizon. Je ne me permets, finalement, que de proposer une piste de réflexion. Jusqu’à un certain point, l’histoire se répète : l’avènement de l’art vidéo, pour ne nommer que celui-là, nous a déjà confrontés à un nouveau paradigme de présentation de l’œuvre, se basant sur des réseaux de distribution et de diffusion plus ou moins formels, souvent hors des musées et des galeries conventionnelles. Nous y voici, à nouveau.

Notes

  • Proposition de définition
    Jonathan Lachance

Article précédent

février 2021
Julien Champagne