Le blogue d’Artexte: un lieu d’échanges, d’expérimentation et de diffusion d’idées liées à la recherche en art actuel.

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En coulisse

Politiques + (in) visibles

Photo : avec l'aimable permission du groupe de recherche Politiques + (in) visibles, 2019.

Politiques + (in) visibles est un groupe de recherche interdisciplinaire et interculturel composé des artistes et chercheur.e.s Michaëlle Sergile, Stanley Février, My-Van Dam et l’historienne de l’art Nuria Carton de Grammont qui, suite à plusieurs mois de recherches dans les archives d’Artexte, ce sont intéressé.e.s aux représentations politiques des subjectivités ethnoculturelles en art contemporain québécois et canadien.

Depuis les années 80 et 90, plusieurs chercheur. e. s dont l’écrivain Neil Devindra Bissoondath[1]1Neil Devindra Bissoondath (1995). Marché aux illusions (Le): Méprise du multiculturalisme. Montréal : Boréal. dénoncent l’opportunisme politique du multiculturalisme canadien comme un miroir aux alouettes afin d’obtenir le vote « ethnique ». On pourrait se demander pourquoi ce débat continue d’être aujourd’hui aussi crucial et pourquoi le multiculturalisme en tant que fondement identitaire de la nation fait couler autant d’encre ? Dans le cadre de notre résidence à Artexte, une des pistes de réflexion que nous avons privilégiées est celle de la catégorisation des sujets racisé. e. s dans le contexte des politiques culturelles québécoises et canadiennes actuelles. Ces catégories tendent à figer les réalités qu’elles décrivent en les inscrivant dans une logique administrative d’identification. Elles favorisent l’exclusion plutôt que l’inclusion à partir des concepts tels que : Diversité, Minorités visibles, Immigrants. Comment déconstruire ces terminologies pour nous définir en tant qu’individus racisé. e. s ?

 

Dans l’histoire de la colonisation, le thème de la classification fut impulsé par un système créé par l’administration française au début du XXe siècle invitant des ethnologues dans ses colonies, spécialement en Afrique, à participer dans un travail de catégorisation des races[2]2Jean Bazin (1999). A chacun son Bambara. Au cœur de l’ethnie : Ethnies, tribalisme et État en Afrique, Jean Loup Amselle et Elikia M’Bokolo (Eds.), Paris : La Découverte, 87-127.. Aníbal Quijano, un des fondateurs de la théorie de la décolonisation en Amérique latine, disait que l’idée de la race était l’instrument de domination sociale le plus efficace inventé depuis les 500 dernières années[3]3Anibal Quijano (2007). Colonialidad el Poder y Clasificación Social. El Giro Decolonial: Reflexiones para una diversidad epistémica má allá del capitalismo global, S. Castro-Gómez y R.Grosfoguel (Eds.) Bogotá : Pontificia Universidad Javeriana / Siglo del HombreEditores, 93-126.. «Autochtone», «noir», «Asiatique», «blanc» et «métis» : sur la notion de race, s’est fondée la colonialité du pouvoir eurocentrique, imposée comme critère fondamental de classification sociale universelle[4]4 (). Ibid .. Le langage employé aujourd’hui pour décrire les « minorités visibles », les « communautés ethnoculturelles » ou encore la « diversité » soulève les différences existant entre les « blancs » et les « autres », entre « immigrants » et citoyens « de souche ». Ne sommes-nous pas en train de reproduire des catégories fondées sur l’appartenance ethnique en conservant des paramètres superficiels qui rendent invisibles les causes profondes de l’exclusion et du déséquilibre du pouvoir dans la société (tout comme dans le milieu des arts) ; pour continuer de favoriser une domination de la « suprématie blanche » aux dépens des autres cultures ?

 

Aujourd’hui, le Québec se compose de « Réalités » culturelles multiples, hétérogènes et complexes plutôt que d’une société conçue depuis une perspective universelle, eurocentrique et coloniale. Il est impératif que les communautés ethnoculturelles du Québec aient une reconnaissance par rapport à la place qu’elles occupent dans le développement politique, économique, social et artistique de la province. Bien que nous parlions souvent « d’un vivre ensemble », il reste que le plus grand défi est de représenter et de reconnaître de manière significative la « Diversité » dans l’art et la culture[5]5Tariq Ramadan (2011). On super-diversity, Reflections 2. Sternberg Press.. Comment donc reconnaître tel qui le convient le travail des différentes communautés ethniques ? Comment rentrer dans un réel dialogue et non dans un discours unilatéral ?

 

En suivant ces questionnements, une deuxième ligne de réflexion de notre résidence fut le développement des pratiques commissariales décoloniales. Ses pratiques visent à remettre en question les visions universalistes sur l’histoire de l’art et les études muséales en déconstruisant les monopoles culturels eurocentriques et les pratiques conventionnelles. Les commissaires engagé. e. s, ayant cette volonté de repenser les fonctions sociales et idéologiques des musées et de leurs collections, rejettent la notion d’objectivité et d’universalité dans l’art. Ielles tentent de promouvoir une manière de percevoir l’art avec des valeurs plus éthiques et inclusives[6]6Marie Fraser et Alice Wing Mai Jim (Eds) (2018). RACAR: Qu'est-ce que le commisariat engagé?. Montréal : Association d'art des universités du Canada, vol. 43, 21-47.. Les commissaires ayant une approche décoloniale ont un regard critique sur la manière de présenter le travail d’un. e artiste. En effet, ces dernier. ère. s pensent à différentes techniques afin de ne pas nourrir les stéréotypes des arts non-occidentaux. Ainsi, ses commissaires s’engagent à réfléchir aux différents enjeux de diversité et d’inclusion dans la fabrication d’exposition et dans l’écriture de l’histoire de l’art. Ielles travaillent aussi sur les différentes terminologies ainsi que représentations tout en s’assurant que de ne pas alimenter les discours réducteurs souvent véhiculer par les institutions traditionnelles[7]7Joana Joachim (2018). Embodiment and subjectivity: Intersectional Black Feminist Curatorial Practices in Canada. RACAR: Qu'est-ce que le commisariat engagé?, Marie Fraser et Alice Wing Mai Jim(Eds), Montréal : Association d'art des universités du Canada, vo. 43, 21-47.. De plus, leur rôle est d’accompagner les artistes dans leurs processus de création dans le but de mettre en lumière leur travail artistique et de créer des discours ainsi que des narrations qui leur appartiennent.

 

En poursuivant sur cette idée du renversement des pratiques conventionnelles, l’exposition Black Wimmin : When and Where we enter, ayant eu lieu à Halifax en 1989 s’est présentée comme un défi par rapport à ce qui avait été fait auparavant où l’on présentait des expositions avec des politiques eurocentriques traditionnelles en matière d’esthétisme et de représentation. Cette exposition commissarié par des femmes noires avec des artistes noires, a non seulement créé un espace de dialogue entre les femmes noires artistes, mais a également ouvert une voie de réflexions cruciale a considérer. Notamment tous les questionnements entourant la notion de maison (home) qui pour plusieurs membres de la diaspora impliquait souvent une métaphore de migration ou de construction spatiale plutôt qu’un point fixe de développement. bell hooks parlait d’un « homeplace » comme étant la construction d’un « safe space » où les personnes noires peuvent s’affirmer l’une l’autre et par ce fait même, se guérir mutuellement des nombreuses blessures ayant suivi une domination raciste[8]8Bell Hooks (). Yearning : Race, Gender and Cultural Politics. 42.. Alice Ming Wai Jim soulève un point important sur la notion de maison. Elle fait une différence entre « white feminisms » et les féminismes des femmes de couleur ayant immigrées au Canada :

« From slavery to current exploitative work structures, for black women, along with other women of color and immigrant women whose diasporic experiences have historically forces them to work in homes other then their own, the notion of ‘home’ becomes a particularly crucial sites of resistance »[9]9Bell Hooks (). Yearning : Race, Gender and Cultural Politics. 47..

Dans la revue Parallélogramme de 1987, on peut lire les mêmes discours que nous entendons aujourd’hui : rendre inclusives les institutions muséales, les centres et les galeries en mettant dans des positions décisionnelles des personnes de différentes cultures. Pourtant, en 1989 avec l’exposition à Halifax, Black Wimmin : When and Where We Enter, une ouverture s’est créé au Canada. Pratiquement toutes les recherches à Artexte ont mené au côté anglophone du Canada. Pour atteindre un réel changement, il ne suffit plus de créer telle ou telle sorte de programmes pour inclure les gens de la « diversité », mais également laisser ces mêmes personnes occuper des postes à l’interne, avoir des postes décisionnels dans les institutions et travailler des expositions non seulement en tant qu’artistes mais également en tant que commissaires.

 

Une troisième ligne de réflexion au cours de notre résidence fut la contribution de l’art latinx-québécois et, plus largement, latinx-canadien qui a évolué depuis les années 70 grâce à la persévérance de différents artistes, tant émergeants qu’à la carrière consolidée. Toutefois, si la pratique des artistes latinx-américains aux États-Unis, notamment celle des Chicanos, fait incontestablement partie de l’art nord-américain depuis longtemps, c’est loin d’être le cas au Canada où le terme d’art « latinx-canadien » ou « latinx-québécois » est encore évacué des narratives historiographiques nationales. L’histoire de la diaspora latine canadienne remonte aux années 70 avec l’arrivée des immigrants et réfugiés politiques sud-américains qui fuyaient les dictatures et régimes autoritaires. Plus tard, à cause de la violence sociale des successives crises économiques dans le contexte des transitions démocratiques et l’implantation des politiques néolibérales dans la région[10]10Victor Armony (2006). Los Latinoamericanos en Québec: una realidad particular. Ruptures, Continuities and Re-learning. The Political Participation of Latin Americans in Canada, Jorge Ginieniwicz & Daniel Schugurensky (Eds.), Toronto: Ontario Institute for Studies in Education of the University of Toronto.. Si bien que certaines artistes — tels que Giorgia Volpe ou Helena Martin Franco- ont percé le milieu artistique local, alors que d’autres pratiques ont passé inaperçues à cause de différents facteurs sociaux et culturels. L’objectif chez Artexte fut de retracer ces différentes voix à travers les archives de différents Centres d’artistes et Galeries, notamment au Québec.

 

Dans ce contexte, notre recherche s’insère dans un effort pour rescaper les morceaux épars de ces pratiques artistiques et les comprendre au-delà des frontières géopolitiques comme un mouvement hémisphérique culturel autonome et diversifié. La contribution du groupe Politiques + (in) visibles chez Artexte consiste donc à rendre possible un terrain d’entente au-delà des politiques multiculturelles nationales et questionner le partage du pouvoir dans la pratique et l’écriture de l’histoire de l’art du Canada et du Québec.

 

 

Notes

  • Marché aux illusions (Le): Méprise du multiculturalisme
    Neil Devindra Bissoondath (1995)
    Montréal : Boréal
  • A chacun son Bambara
    Jean Bazin (1999)
    Au cœur de l’ethnie : Ethnies, tribalisme et État en Afrique, Jean Loup Amselle et Elikia M’Bokolo (Eds.), Paris : La Découverte
    87-127
  • Colonialidad el Poder y Clasificación Social
    Anibal Quijano (2007)
    El Giro Decolonial: Reflexiones para una diversidad epistémica má allá del capitalismo global, S. Castro-Gómez y R.Grosfoguel (Eds.) Bogotá : Pontificia Universidad Javeriana / Siglo del HombreEditores
    93-126
  • Ibid
  • On super-diversity, Reflections 2
    Tariq Ramadan (2011)
    Sternberg Press
  • RACAR: Qu'est-ce que le commisariat engagé?
    Marie Fraser et Alice Wing Mai Jim (Eds) (2018)
    Montréal : Association d'art des universités du Canada, vol. 43
    21-47
  • Embodiment and subjectivity: Intersectional Black Feminist Curatorial Practices in Canada
    Joana Joachim (2018)
    RACAR: Qu'est-ce que le commisariat engagé?, Marie Fraser et Alice Wing Mai Jim(Eds), Montréal : Association d'art des universités du Canada
    vo. 43 : 21-47
  • Yearning : Race, Gender and Cultural Politics
    Bell Hooks
    42

    Phrase traduite par Michaëlle Sergile

  • Yearning : Race, Gender and Cultural Politics
    Bell Hooks
    47

    Cité par Alice Ming Wai Jim

  • Los Latinoamericanos en Québec: una realidad particular
    Victor Armony (2006)
    Ruptures, Continuities and Re-learning. The Political Participation of Latin Americans in Canada, Jorge Ginieniwicz & Daniel Schugurensky (Eds.), Toronto: Ontario Institute for Studies in Education of the University of Toronto

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octobre 2019
Geneviève Marcil