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En conversation

Sisters. Et si l’on délaissait notre obsession pour la compétitivité au profit d’une logique collaborative?

En 2018, le musée Te Papa Tongarewa (Wellington, Nouvelle-Zélande) présentait l’exposition Pacific Sisters : Fashion Activists/Pacific Sisters : He Toa Taera (17 mars- 15 juillet) à l’invitation de la commissaire Nina Tonga. Célébrant 25 ans de projets artistiques collaboratifs, le Te Papa devenait l’un des premiers grands musées d’État à proposer une rétrospective des œuvres de ce collectif novateur réunissant des créatrices maories et d’autres provenant du Pacifique œuvrant en design, textile, musique, arts visuels et performance. D’abord constitué d’un noyau d’artistes réunies à Auckland, le groupe – dont l’identification à la catégorie « femme » est aujourd’hui souple et sciemment transgressive – rassemble des artistes qui œuvrent internationalement :  Lisa Reihana, Rosanna Raymond, Ani O’Neill, Suzanne Tamaki, Selina Haami, Niwhai Tupaea, Henzart @ Henry Ah-Foo Taripo, Feeonaa Wall et Jaunnie ‘Ilolahia. Pacific Sisters : Fashion Activists/Pacific Sisters : He Toa Taera donnait l’occasion aux visiteurs de reconnaitre les thèmes et les enjeux qui fondent la démarche et la posture ontologique des Sisters : indigénéité, identités et féminismes, valorisation de la culture matérielle, rôle de la performance dans l’activation d’un espace commun, ancrage dans la communauté, transmission des savoirs et spiritualité

Au même moment dans l’hémisphère Nord du globe, Montréal tenait la quatrième Biennale d’art contemporain autochtone (édition 2018) organisée sous le thème, níchiwamiskwém | nimidet | ma soeur | my sister. Les co-commissaires, membres du Collectif des Commissaires autochtones, Niki Little (Winnipi, Manitoba) et Becca Taylor (amiskwaciwâskahikan, Alberta) avaient réuni quelque quarante artistes dont les propositions « réinventent les identités femmes, queer et deux-esprits ».[1]1Biennale d’art contemporain autochtone (BACA) – 4e édition (). BACA, 4e édition: níchiwamiskwém | nimidet | ma soeur | my sister. Montréal et Sherbrooke. Défiant les conventions, My Sister présentait quatre expositions et rassemblait des performances, des séances de tatouage, des œuvres textiles, des installations, des projections et des tables rondes tenues dans différents sites (la galerie municipale Stuart Hall de Pointe-Claire, une galerie municipale, Art Mûr, La Guilde, le Musée McCord, le Musée des beaux-arts de Sherbrooke). La diversité de la nature et des mandats respectifs des institutions où se déroulaient les activités de la Biennale contribuait à démocratiser l’accès à l’art contemporain autochtone et à l’ancrer dans des communautés locales.

 

Ces deux événements, bien que distincts et complètement indépendants, mettent de l’avant certaines valeurs et stratégies qui questionnent non seulement l’histoire de l’art et ses méthodologies, mais encore la construction des savoirs et notre rapport au monde. Il s’agit d’une part d’explorer les liens de sororité (que ceux-ci soient issus de la fratrie, ou de parentés spirituelles et culturelles) et d’interconnexion entre des singularités diverses. D’autre part, les projets respectifs des Sisters valorisent la co-construction des savoirs et des savoir-faire ainsi que le métissage des techniques disciplinaires et des catégories normées.

Devant le déficit de conscientisation actuelle et l’urgence de la crise écologique planétaire, un tel changement de paradigme, de l’exploitation vers la coopération et l’interdépendance, apparait nécessaire, voire déontique. Cette posture théorique et philosophique participe d’une vision de l’art et du monde où la subjectivité humaine, les rapports sociaux et l’environnement sont corrélatifs, Félix Guattari parlait, en 1989 déjà, d’une « écosophie » pour désigner « l’articulation éthico-politique de ces trois registres de l’écologie ».[2]2Félix Guattari (1989). Les trois écologies. Paris-Éditions Galilée, 12. Il revient aux postures et aux œuvres féministes des années 1960 et 1970 d’avoir contribué, les premières, à ébranler les notions de génie individuel, de talent et de professionnalisme qui fondaient traditionnellement les récits sur l’art et l’histoire de l’art comme discipline. Aujourd’hui, les « Sisters » nous invitent à aller beaucoup plus loin et à reconnaitre la nature collaborative et interdépendante des savoirs, humains et non humains.

 

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Eunice Bélidor

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Catherine Barnabé