Nous savions que si nous étions célèbres et glamour, nous pourrions nous dire artistes et devenir artistes. Nous l’avons fait et nous le sommes devenus.[1]1General Idea (automne 1975). Glamour. File Magazine, vol. 3, no. 1, 21.
Le projet de recherche Une bibliographie commentée : l’art de la performance au Québec et au Canada a été lancé en 2014 sous la direction de Barbara Clausen, avec le soutien du département d’histoire de l’art de l’UQAM.[2]2 (). Une bibliographie commentée : l’art de la performance au Québec et au Canada . L’objectif à terme de ce projet de longue haleine consiste à créer une base de données en ligne et une publication qui répertorient tous les écrits produits sur l’art performatif à l’échelle nationale depuis le début du 20e siècle.[3]3 (). Une bibliographie commentée en temps réel : l’art de la performance au Québec et au Canada. Parallèlement à l’objectif de recensement par le biais de la bibliographie, le projet accorde une place primordiale à la diffusion de l’historiographie de la performance sous forme d’expositions et d’évènements publics. Cette volonté a donné lieu à deux expositions à Artexte en 2015 qui comprenait une sélection de documents effectuée par des acteurs clés de la scène canadienne et québécoise ainsi qu’un riche programme de conférences.
Invitée à partager une fois de plus l’avancement du projet à Artexte à l’automne 2017, l’équipe de recherche a conçu une exposition en trois axes regroupés sous l’appellation Lire la performance : Une bibliographie commentée en temps réel III. Plutôt que de se succéder de façon hermétique, les thématiques retenues – TEXTE : Le manifeste artistique comme écrit performatif (commissaire : Geneviève Marcil); ESPACE : Mettre en espace la recherche (commissaire : Emmanuelle Choquette) et; IMAGE : La vidéo comme lieu d’une mise en récit de soi (commissaire : Jade Boivin) – ont été déployées au moyen d’une scénographie évolutive et de la rotation partielle des documents. Suivant la nature dynamique de la bibliographie commentée, nous avons en outre transformé l’espace d’exposition en lieu de travail où l’équipe a tenu des séances d’annotation.
Dans l’optique de faire dialoguer directement les éléments du texte et de la performance, la première partie de l’exposition était consacrée au caractère performatif du manifeste artistique. L’angle d’analyse que j’ai été amenée à élaborer pour cette section a bénéficié de plusieurs précédents notables dans le contexte québécois. Dans l’introduction de leur recueil de manifestes politiques, culturels et économiques, Daniel Latouche et Diane Poliquin-Bourassa énumèrent les caractéristiques essentielles du manifeste, parmi lesquelles figurent son rapport à la réalité et sa référence à une action concrète.[4]4Daniel Latouche, Diane Poliquin-Bourassa (1977-1979). Le Manuel de la parole : Manifestes québécois Tome 3. Sillery : Les Edirions Boreal Express , 16. De même, dans L’enjeu du manifeste, le manifeste en jeu, Jeanne Demers et Line McMurray établissent la dimension pragmatique et sociale du genre manifestaire. En phase avec les théories linguistiques du philosophe J.L. Austin[5]5J.L. Austin (1986). How to Do Things with Words. Oxford: Clarendon Press, 24., les autrices affirment analyser le manifeste « […] dans sa totalité de phénomène, c’est-à-dire en tant qu’acte, circonstances d’énonciation intégrées. »[6]6Jeanne Demers, Line McMurray (1986). L'enjeu du manifeste le manifeste en jeu. Longueuil : Le Préambule, 24. En somme, ces deux perspectives holistiques du manifeste résument parfaitement les intentions de la portion initiale de l’exposition, qui considère aussi le manifeste artistique autant comme un appel à l’action que comme un acte de naissance de groupes, de mouvements, d’idées.
L’exposition rend donc compte des différentes étapes d’énonciation du manifeste, soit la rédaction, la diffusion et la lecture publique. De la plume imagée de Françoise Sullivan au ton caustique de l’ode à la célébrité de General Idea[7]7Françoise Sullivan (1971-1948). La danse et l’espoir . Borduas et les Automatistes, Montréal, 1942-1955/Montréal: Musée d’art contemporain de Montréal, 140-146., l’exposition révèle d’abord des textes protéiformes qui réfèrent à des pratiques performatives à la croisée de la poésie, de la vidéo, de la danse et du théâtre. Les modes de dissémination variés de ces textes sont ensuite évoqués par les publications à la disposition des visiteurs, tandis que les photocopies rudimentaires affichées au mur accentuent la facture graphique de ces supports. Enfin, la projection de vidéos documentant la déclamation de manifestes permet d’illustrer la performativité de ces écrits au sens le plus strict.
Pour faciliter les recherches ultérieures sur le sujet, tous les manifestes sélectionnés ont été compilés dans le livret de l’exposition, en plus d’être intégrés à la bibliographie commentée du projet de recherche. Car voilà bien la visée de toute démarche bibliographique : servir d’outil à ceux qui approfondiront la question par la suite.[8]8 (). Le réflexe bibliographique, ici et maintenant . Dans le cas présent, les usages concrets n’ont pas tardé à survenir : suite à leur présentation à Artexte, les recherches effectuées dans le cadre de Lire la performance ont en partie servi à l’exposition Partitions au Musée d’art contemporain de Montréal, commissariée par François Letourneux. C’est dire que ce genre de travail, sans le qualifier de performatif, demeure doté d’un caractère intrinsèquement génératif.