Hiver 2024
« Les personnes sud-asiatiques forment le plus grand groupe de minorités visibles au Canada. Et pourtant, seulement 6 % de celles-ci habitent au Québec, représentant une présence qualifiée par certains d’invisible [1]. Faisant partie de ce faible pourcentage et étant artiste queer, une minorité dans une minorité, je ressens depuis toujours un fort besoin de situer ma pratique au sein d’une tradition diasporique que je sais existante, mais qui m’est obscurcie en vertu de sa sous-représentation. J’arrive donc à Artexte avec le désir de retracer une partie de cette lignée et retrouver les fils qui relient mon histoire à celle des autres.
Je souhaite produire une bibliographie thématique annotée qui recense la présence queer dans l’art contemporain de la diaspora d’héritage sud-asiatique au Canada. Ce qui m’intéresse particulièrement est l’histoire de la communauté d’artistes issue de la vague d’immigration courante entamée dans les années 1970. Je partage la vision de l’autrice Gayatri Gopinath qui, à propos de nouvelles possibilités qui émergent des pratiques esthétiques diasporiques occluses par l’histoire dominante, écrit : « La queerness est le canal par lequel [nous pouvons] accéder aux zones d’ombre du passé et les transposer dans le cadre actuel [2]. » [Traduction libre]. Je cherche à souligner les différents instants où l’autoreprésentation a servi d’important outil de résistance à la culture hégémonique, incluant les conceptions néolibérales de l’identité queer, pour ces peuples issus de migrations postcoloniales. Quelles approches et quels langages esthétiques ressortent des documents relatant la multiplicité de l’expérience diasporique outre son association aux attitudes nationalistes dominantes ? Dans un contexte de mondialisation, comment ont évolué, au cours des décennies, les espoirs et les préoccupations des artistes au-delà des politiques de la représentation ? En quoi nos combats pour la justice sociale s’alignent-ils avec les efforts décoloniaux des peuples autochtones d’ici ? Peut-on reconstituer à partir des traces documentaires les traditions et les pratiques existant en dehors de ce qui a été conservé ? »
Naimah Amin puise de son vécu en tant que Bangladeshi née au Québec pour mettre en relief, à travers un langage visuel, le renouement avec soi et le besoin d’appartenance. Sa spécialisation en peinture et en dessin lui permet d’allier reproduction et imagination, et donc d’unir les histoires transmises par voie d’héritage aux fictions qui franchissent frontières et identités culturelles. Dernièrement, Amin présente les images qu’iel crée accompagnées d’objets trouvés à caractère domestique dans un contexte d’installation afin de souligner les relations entre ces images et le monde matériel duquel elles naissent. Ses peintures et ses dessins constituent généralement des extensions de ses archives photographiques familiales. Iel réinterprète ces dernières pour marquer sa relation évolutive à la mémoire et à l’histoire collectives. Naimah Amin détient un baccalauréat en beaux-arts de l’Université Concordia, et sera prochainement candidate à la maîtrise en beaux-arts à l’Emily Carr University of Arts + Design à Vancouver.
[1] Mahsa Bakhshaei, et al., eds. The Invisible Community: Being South Asian in Quebec (McGill-Queen’s University Press, 2021).
[2] Gayatri Gopinath, Unruly Visions: The Aesthetic Practices of Queer Diaspora (Durham & Londres: Duke University Press, 2018), 9.