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En conversation

Une image vaut-elle mille mots ? La rédaction de textes de remplacement dans le contexte des arts visuels

Photographie couleur format carré montrant de nombreux documents étalés sur un fond blanc. On y voit des extraits de «Saw News» et d'une revue nommée Réfractions, entre autres.
© Artexte, 2025.

Le texte de remplacement[1] a été introduit pour la première fois durant les années 1990, afin de compenser la lenteur de chargement des images en ligne[2]. Cet attribut faisait partie du code HTML, permettant la description textuelle d’une image de manière à remplacer le visuel, lorsque l’image ne pouvait être affichée. Aujourd’hui, cette expression est employée couramment en référence aux descriptions d’images pour les personnes non-voyantes ou ayant une vision réduite[3]. Il est possible d’accéder à ces descriptions d’images grâce à des lecteurs d’écran, qui retranscrivent par synthèse vocale les médias numériques tels que les sites web, les documents, les logiciels et leur contenu.

 

Artexte s’intéresse depuis peu au texte de remplacement, parce qu’il se rapporte non seulement à notre présence sur les réseaux sociaux, lors de la rédaction des textes de remplacement pour les images, mais aussi à notre projet d’accessibilité, qui vise à rendre plus accessibles les documents de notre collection pour tous·tes grâce à la numérisation et à la remédiation. Ces processus requièrent la préparation de numérisations de haute qualité des documents physiques, qui sont traitées au moyen de la reconnaissance optique de caractères (ROC), de façon à les rendre recherchables et lisibles par l’ordinateur. Des textes de remplacement sont ensuite rédigés pour décrire les images, qui peuvent inclure des photographies, des illustrations, des reproductions d’œuvres d’art, des graphiques, des diagrammes, etc. Finalement, ces documents sont mis à la disposition des chercheurs et chercheuses dans notre dépôt numérique, à l’adresse https://e-artexte.ca/. En tant qu’assistant·e aux services documentaires et à l’accessibilité numérique chez Artexte, je suis chargé·e de mettre en œuvre cette procédure et d’élaborer un guide interne pour la rédaction des descriptions d’images dans le contexte des arts visuels. Étant donné que l’art défie souvent le langage et requiert une large part d’interprétation, la rédaction d’un tel guide et son application au projet d’accessibilité d’Artexte ont demandé beaucoup de recherches et de réflexion. Je suis très heureux·se de partager avec vous les résultats de cette expérience d’apprentissage, de même que mes espérances pour l’avenir des textes de remplacement dans le domaine des arts visuels. 

 

Écrire un premier texte de remplacement peut être intimidant : j’ai trouvé la tâche ardue et j’ai encore de la difficulté à trouver un juste équilibre entre la concision, la précision et la pertinence dans mes descriptions. Malgré cela, le fait d’entamer cette réflexion en présentant les raisons de la difficulté de rédiger des textes de remplacement est comme une prédiction qui se réalise. Si j’accorde trop d’importance aux défis associés à l’écriture de textes de remplacement utiles et de bonne qualité, je crains de décourager les personnes qui tenteront d’en rédiger. Toutefois, comme c’est le cas pour toutes les formes d’écriture, la rédaction de textes de remplacement ne fait que s’améliorer avec la pratique. En effet, bien que ce ne soit pas toujours facile, surtout pour les personnes qui débutent, ceci est vrai de toute compétence en développement. Il y a aussi la crainte de ne pas rendre justice à une image, ou de ne pas rédiger une description « adéquate ». Je me réjouis cependant à la pensée que la mise en mots du visuel est un concept bien ancré dans le domaine des beaux-arts. Avant l’avènement de reproductions couleur de haute qualité à prix abordable, on avait recours aux descriptions textuelles d’œuvres d’art rédigées par les commissaires et critiques, beaucoup plus qu’aux images. Cette pratique se poursuit encore aujourd’hui, généralement dans les publications de modeste envergure, même si l’on remarque un changement en faveur des images, ces dernières années. En développant notre capacité à décrire des images, non seulement nous aiguisons notre regard, mais nous continuons également à pratiquer des savoir-faire et des techniques propres à l’étude des arts. En voici un exemple dans cet extrait d’un catalogue d’exposition datant de 1991, que j’ai traité récemment:

Midnight Blue (1973-1974) est une image couleur d’une chandelle allumée et de son ombre photographiées sur un fond de planches de bois rustiques peintes en bleu. Sur une tablette en avant des planches, on trouve un amas de cire — les restes de la chandelle durant la séance de pose. Grâce à un cadrage minutieux et l’inscription de lignes diagonales au centre de la photographie qui servent à aplatir l’espace et à éliminer l’illusion de profondeur, la distinction entre l’événement d’origine et sa représentation se confond[4].

Scan en noir et blanc d'une page de livre. On y voit une oeuvre d'art D'une chandelle blanche allumée devant un mur de bois, ainsi qu'une description de l'image au bas.
Jacques Doyon and Lesley Johnstone, « Photo Sculpture: Jocelyne Alloucherie, Patrick Altman, Guy Bourassa, Paul Lacerte, Alain Paiement, Sylvie Readman » (Saint-Jean-Port-Joli, Quebec: Les Studios d’été de Saint-Jean-Port-Joli; Montreal: Artextes Editions, 1991), 41.

Je ne peux que m’émerveiller devant la quantité de détails précis fournis ici par l’autrice, pour produire une imagerie à la fois vivante et attrayante. On y retrouve plusieurs éléments descriptifs essentiels, tels que la couleur, la texture et la composition. C’est comme si l’autrice avait suivi un guide de rédaction de textes de remplacement. En fait, même si cette description est accompagnée d’une reproduction en noir et blanc de l’œuvre, je trouve que la description permet de mieux comprendre sa configuration physique et sa couleur que l’image elle-même. La description des images d’art paraît beaucoup plus accessible lorsque l’on tient compte du fait qu’il existe déjà des méthodes éprouvées d’analyse visuelle, qui ne nécessitent que quelques légères modifications pour devenir de véritables textes de remplacement. 

 

La question de l’objectivité représente un autre défi dans la rédaction de textes de remplacement. La norme recommandée dans les guides de rédaction précise que les auteur·trices devraient adopter une position objective, de manière à ne pas inclure leurs propres interprétations et préjugés dans les descriptions[5]. Cependant, cette neutralité présumée, qui se trouve réitérée par le mode de présentation impersonnel et anonyme des textes de remplacement[6], ne prend pas en compte la nature foncièrement interprétative de l’écriture des descriptions d’images. Ceci est davantage compliqué par le niveau d’interprétation souvent requis pour les œuvres d’art, notamment lorsqu’un niveau élevé d’abstraction est en jeu. Les auteur·trices de textes de remplacement dans le domaine des arts visuels doivent naviguer une distinction subtile entre le fait d’amener leur lectorat vers une certaine interprétation, et celui ne pas être en mesure de décrire l’image proposée. Bien entendu, nous devrions reconnaître nos préjugés inhérents et travailler activement à contrecarrer leurs effets négatifs. Par exemple, les auteur·trices de textes de remplacement ont souvent tendance à supposer que la blanchité est une option par défaut. Ainsi, on décrira la couleur de peau des personnes non-blanches représentées dans une œuvre d’art, tout en omettant de mentionner la couleur de peau des personnes blanches[7]. Bien que la recherche d’un équilibre entre l’objectivité, l’exactitude et la pertinence soit une procédure délicate, les directives claires minimisant l’impact des préjugés systémiques, tout en permettant une flexibilité dans l’expression créative, peuvent aider les auteur·trices à déterminer la meilleure procédure pour décrire une image donnée.

 

Le projet Alt-Text as Poetry (Le texte de remplacement comme poésie) de Bojana Coklyat et Finnegan Shannon[8] représente une perspective intéressante pour l’expression de la créativité dans les descriptions d’images. Ce projet nous met au défi d’élargir les notions que nous avons sur la nature et les possibilités du texte de remplacement. Coklyat et Shannon sont à l’origine du mouvement qui vise à changer la perception du texte de remplacement d’une tâche obligée vers une action qui conjugue beauté, exploration et compétence grâce à l’utilisation du langage poétique[9]. Davantage une philosophie qu’un recueil de règles, Alt-Text as Poetry expose les possibilités offertes aux individus et aux institutions par le texte de remplacement, leur permettant de démontrer la pratique du soin dans leur travail. En prenant le temps de rendre nos descriptions d’images accessibles et attrayantes, nous créons un espace accueillant pour toutes les personnes membres de notre communauté. Cela ne veut pas dire que toutes les descriptions d’images doivent être fluides et recherchées, affinées de manière à évoquer l’imagerie la plus complexe. Après tout, le but ultime est de produire un document accessible ; l’approche claire et simple représente parfois le moyen de communication le plus efficace. Toutefois, le fait de suivre la démarche du projet Alt-Text as Poetry nous permet de produire des descriptions plus ciblées et réfléchies, tout en rendant le processus plus divertissant, autant pour les personnes qui créent les textes de remplacement que pour leur lectorat. 

 

Enfin, j’espère qu’en devenant conscient·es de l’importance des textes de remplacement, une fois démystifiés les aspects les plus intimidants de ce processus, davantage d’artistes et d’associations artistiques se sentiront encouragé·es à inclure des descriptions d’images dans leurs activités régulières. Les artistes sont très bien placé·es pour rédiger des textes de remplacement de haute qualité concernant leur propre travail, vu leur grande familiarité avec ses contenus et intentions. Cela signifie que les artistes peuvent encoder textuellement, dans leurs descriptions d’images, des significations comparables à celles encodées visuellement dans leurs œuvres[10]. Si les artistes ont accès aux outils leur permettant d’écrire des textes de remplacement et sont appuyé·es pour ce faire par les institutions, cela facilitera l’inclusion des pratiques d’accessibilité dans la pratique de création au quotidien. Située à l’intersection de la production artistique et de la documentation en art, et comme lien entre les institutions et les personnes membres de la communauté artistique, l’équipe d’Artexte aspire à contribuer à cet objectif par son engagement envers un accès équitable à ses espaces et ressources[11]. À cette fin, Artexte apprécierait tout commentaire ou suggestion sur nos offres d’accessibilité. Nous vous invitons à nous écrire à l’adresse accessibilite@artexte.ca.

 

 

 

 

Notes

  • En anglais, « Alternative text » ou « alt text », expression communément utilisée sur les plateformes numériques. [Note du traducteur]
  • Meredith Ringel Morris, Jazette Johnson, Cynthia L. Bennett et Edward Cutrell, « Rich Representations of Visual Content for Screen Reader Users », dans CHI ’18: Proceedings of the 2018 CHI Conference on Human Factors in Computing Systems. New York, ACM, 2018, p. 1.
  • En dépit de certaines nuances techniques, j’emploie les expressions « texte de remplacement » et « description d’image » de façon interchangeable dans cet article.
  • Jacques Doyon et Lesley Johnstone, Photo Sculpture : Jocelyne Alloucherie, Patrick Altman, Guy Bourassa, Paul Lacerte, Alain Paiement, Sylvie Readman. Saint-Jean-Port-Joli (Québec), Les Studios d’été de Saint-Jean-Port-Joli; Montréal, Artextes Editions, 1991, p. 67.
  • Bojana Coklyat et Finnegan Shannon, « Alt Text as Poetry Project », dans Amanda Cachia (dir.), Curating Access: Disability Art Activism and Creative Accommodation. Londres, Routledge, 2023, p. 283.
  • Georgina Kleege, More Than Meets the Eye: What Blindness Brings to Art. New York, Oxford University Press, 2017, p. 112.
  • Kai Alexis Smith et Christine Malinowski, « What We Aren’t Seeing: Exclusionary Practices in Visual Media », dans Maggie Murphy, Stephanie Beene, Katie Greer, Sara Schumacher et Dana S. Thompson (dir.), Unframing the Visual: Visual Literacy Pedagogy in Academic Libraries and Information Spaces. Chicago, ACRL, 2024, p. 331–333.
  • On peut consulter le site web du projet à l’adresse suivante :
  • Coklyat et Shannon, « Alt Text as Poetry Project », p. 279.
  • Emory James Edwards, Kyle Lewis Polster, Isabel Tuason, Emily Blank, Michael Gilbert et Stacy Branham, « “That’s in the Eye of the Beholder”: Layers of Interpretation in Image Descriptions for Fictional Representations of People with Disabilities » dans Jonathan Lazar, Jinjuan Heidi Feng et Faustina Hwang (dir.), ASSETS ’21: Proceedings of the 23rd International ACM SIGACCESS Conference on Computers and Accessibility. New York, ACM, 2021, paragraphe 5.1.
  • Pour consulter la déclaration d’accessibilité d’Artexte, voir :

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juillet 2024
Rad Hourani